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Entretien avec Sylvie Gautier
Historienne et enseignante à l’Université Gustave Eiffel, Sylvie Gautier explore l’émancipation économique et financière des femmes à la croisée de l’histoire contemporaine et de la sociologie. Forte d’une expérience en entreprise et dans les médias, elle met son expertise au service de la recherche, du conseil et de la transmission.
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l’Association pour l’Histoire des Caisses d’Epargne
FAIRE RAYONNER L’HISTOIRE
DES CAISSES D’EPARGNE
Les Caisses d’Epargne font parties du club fermé des entreprises bicentenaires.
Elles possèdent une histoire qui s’incarne dans la vie des territoires et de leurs
habitants. Cette histoire éclaire un des marqueurs forts de leur identité, à savoir
leur rôle de pionnières dans les transitions de la société. L’Association pour l’histoire
a pour objet de mener toute action et étude permettant de faire pleinement
rayonner cette histoire et d’en promouvoir la richesse auprès des Caisses d’Epargne
et de ses clients, des institutionnels, du grand public.
À DÉCOUVRIR
L’économie européenne en 100 citations
Ce texte est extrait du livre « L’économie européenne en 100 citations » de Cristina Peicuti et met en avant la contribution des Caisses d’Epargne à l’égalité financière entre les femmes et les hommes.
Égalité financière femme-homme
En 1898, dans Les Lois relatives à l’épargne de la femme mariée. Leur importance pour la protection de l’épouse dans les classes laborieuses, Albert Aftalion, docteur en droit vivant en France, se préoccupe du problème de la condition de l’épouse, « l’un des plus douloureux, et de ceux qui exigent la plus prompte solution ».
Il attire l’attention sur la situation économique précaire de « l’épouse dans les classes populaires » et des enfants due à l’abus de la loi : « Publicistes et jurisconsultes s’accordent à déplorer la situation d’une femme soumise, sans protection efficace, aux pouvoirs étendus d’un mari, parfois indigne. Ses salaires, ses économies, indispensables pourtant à son entretien et à celui de ses enfants, sont légalement à la disposition du mari, seul juge de leur emploi, libre, s’il lui plaît, de les dissiper dans l’inconduite. De divers côtés on a cherché un remède contre les abus possibles de la part des maris. »
L’épargne des femmes
Dès 1881, les Caisses d’épargne créées en 1818 ont permis aux femmes de disposer de leur livret d’épargne sans l’aval de leur mari. Dans la préface de son livre Les Lois relatives à l’épargne de la femme mariée, Aftalion rend hommage aux caisses d’épargne qui sont allées plus loin que la loi ne l’exigeait dans son application : « Mais dans tous ces efforts faits pour améliorer le sort de l’épouse dans les classes populaires, on néglige injustement les tentatives déjà effectuées dans le même sens ; on oublie en particulier les lois récentes sur les Caisses d’Épargne, ou on n’en parle que dédaigneusement. Le secours qu’elles auraient apporté à la femme pauvre serait insignifiant ou illusoire. La faculté d’épargne qu’elles lui confèrent est une simple tolérance, que le mari est maître de faire cesser.
Il est vrai qu’à certains égards cette opinion est justifiée par le texte des lois sur les Caisses d’Épargne. »
Néanmoins, Aftalion fait remarquer que : « Mais les lois subissent souvent une transformation profonde, lorsqu’elles passent de la formule écrite à l’application concrète. Au contact des faits, les principes théoriques perdent leur netteté abstraite. Ils ne s’adaptent pas parfois à la réalité qu’en se dépouillant de leur rigueur ou de leur généralité primitives. Par suite des circonstances, sous l’empire de certaines nécessités, ou encore par leur combinaison avec d’autres principes juridiques, ils prennent un caractère tout différent de celui qu’on avait voulu leur attribuer, ils atteignent un but en vue duquel on ne les avait pas créés. Toute codification est impuissante à arrêter le développement secret et continu dans la législation d’un droit non écrit, d’un droit coutumier. »
Aftalion continue en rendant hommage aux caisses d’épargne qui vont plus loin que la loi pour établir l’égalité financière entre les femmes et les hommes : « Ces idées se vérifient précisément à propos des articles des lois sur les Caisses d’Épargne qui ont trait à l’épouse. Aussitôt après la promulgation de ces lois, des usages de fait, des « coutumes », pourrait-on dire, se sont établis qui ont donné au droit de la femme une extension à laquelle on n’avait pas songé. La liberté d’épargne, complètement indépendante de toute intervention maritale, que la loi avait refusée à l’épouse, la pratique n’est pas loin de la lui avoir accordée entière. La femme pauvre a été appelée ainsi à participer à côté du mari, dans les limites assez larges relativement aux ressources modestes du ménage, au gouvernement des intérêts pécuniaires de la famille. Et on peut apercevoir dans le contraste, en cette manière, entre les lois et la pratique, une expérience de législation qui n’est pas dépourvue d’enseignement. »
Aftalion conclut sur l’application de la loi par les caisses d’épargne : « En réalité, plus ou moins ouvertement, la pratique restreint, de manière sensible, les droits du mari, en faveur de l’épouse. Les prérogatives du mari demeurent intactes, tant qu’il n’a pas autorisé le premier versement de sa femme. Mais, dès qu’il l’a fait, il perd son pouvoir supérieur. L’épouse peut continuer à déposer malgré la volonté contraire du mari. Elle peut aussi empêcher tout remboursement des dépôts qu’elle trouverait inopportun. […] Une protection sérieuse était ainsi assurée à la femme dans les populations laborieuses. »
Le compte bancaire joint
Aftalion évoque aussi une autre mesure clé des caisses d’épargne en faveur de l’égalité femme-homme, alors qu’à l’époque la loi reconnaissait le mari comme maître de la communauté : « Mais une dérogation plus profonde encore est apportée aux règles du code. Les caisses doivent refuser tout remboursement à l’un des conjoints, au mari ou à la femme agissant isolément ; elles ne peuvent restituer les sommes déposées qu’aux deux époux ; si un seul d’entre eux se présente à la caisse, il doit apporter un consentement écrit de l’autre. Le mari maître pourtant de la communauté est ainsi incapable de toucher les créances communes ; il n’y parvient, contrairement aux principes, qu’avec le concours de l’épouse. »
Ouverture de compte
Aftalion explique que les caisses d’épargne auraient ouvert des comptes aux femmes mariées à leur nom de jeune fille pour leur permettre ainsi de jouir de la liberté de disposer de leur argent : « Il est vrai que, par un moyen un peu détourné, la femme parvenait en fait à déposer à la caisse, et à retirer, sans le concours de son mari. Elle se faisait ouvrir un compte à son nom de jeune fille et aucune restriction ne limitait alors sa liberté. Les administrateurs des caisses ignorant ou feignant d’ignorer sa qualité d’épouse ne s’inquiétaient pas des pouvoirs du mari sur les deniers qui leur avaient été confiés. »
Aftalion ajoute : « Il semble que dans les caisses d’épargne on montrait assez de complaisance à admettre la véracité d’affirmations semblables de la part d’une femme mariée. Une pratique presque générale s’était constituée en ce sens. On rappellera souvent cette pratique dans les débats qui devaient avoir lieu au Parlement au sujet des propositions de loi sur les caisses d’épargne. »
Aftalion poursuit en donnant des exemples : « La faculté de dépôt, sans autorisation préalable existe, dira-t-on, mais elle existe d’une manière irrégulière[1] » ou encore : « Quand elles (les femmes) déposent à la caisse d’épargne, on ne refuse pas leurs dépôts, et quand elles les retirent, on ne leur refuse pas davantage leurs retraits… Le livret donne le nom de la femme, mais il n’indique pas particulièrement le nom du mari[2]. »
Il écrit par rapport au dernier exemple : « On peut voir dans cette dernière phrase comme un aveu de procédé employé par les caisses, pour déroger en faveur de l’épouse aux principes fondamentaux du Code civil. Mais on doit reconnaître que de cette manière, quelles que fussent les circonstances du fait qui souvent excusaient les habitudes des caisses d’épargne, on sortait entièrement de la légalité. Il pouvait paraître désirable par suite que la législation intervînt pour consacrer et surtout pour compléter la protection que la pratique accordait à l’épouse. »
Le vœu du grand économiste et juriste Aftalion ne sera exaucé par la législation française que quatre-vingt-quatre ans plus tard avec la reconnaissance par la loi de l’indépendance financière des femmes en 1965.
Source du texte : L’économie européenne en 100 citations, Cristina Peicuti, PUF, 2024
[1] Note de bas de page dans la citation « Discours de M. Tallon à l’Assemblée nationale, séance du 15 mai 1875 (Journal officiel du 16) ».
[2] Note de bas de page dans la citation « Discours de M. Robert de Massy au Sénat, séance du 28 mars 1881 (Journal officiel du 29) ».
Libre à elles !
1818 : la création de la Caisse d’Epargne constitue une innovation de rupture majeure. Elle ouvre à toutes et tous sans condition de ressources, les portes de l’épargne. Majeures et non mariées, les femmes ont ainsi toute liberté d’ouvrir un livret.
Le mariage reste néanmoins l’acte d’inscription sociale par excellence en ce début du XIXe siècle. On prend époux à 25 ans en moyenne, le célibat ne touche que 12 % des femmes. Une fois mariée, ces dernières perdent toute autonomie, le code Napoléon les plaçant sous l’entière autorité de leur mari, en matière d’argent notamment. Les portes de la Caisse d’Epargne ne s’ouvrent plus pour elles qu’accompagnées.
En 1881, une loi vient mettre à mal la toute puissance maritale inscrite dans le Code civil. Une révolution ! Elle autorise les épouses à librement utiliser leur livret. En pionnières, les Caisses d’Epargne permettent ainsi aux femmes d’accéder à une première émancipation financière, à laquelle elles n’auront pleinement droit dans l’ensemble du secteur bancaire qu’en 1965.
Hier, les femmes mariées ont dû batailler ferme pour conquérir leur indépendance ; aujourd’hui, les entrepreneures rencontrent encore bien des obstacles. Demain, comme hier et aujourd’hui, les Caisses d’Epargne continueront de les accompagner pour que jamais elles ne cessent d’oser.
L’architecture de l’épargne
Les Caisses d’Epargne françaises au cœur de l’histoire urbaine
A quelques exceptions près, les Caisses d’Epargne françaises, fondées en France dans la première moitié du XIXe siècle, s’installent au départ dans des locaux exigus et sans équipement prêtés par les mairies.
Leur bureau n’étant ouvert à l’origine que le dimanche, elles doivent bien souvent partager la modeste salle mise à leur disposition avec un service municipal qui y officie quant à lui pendant la semaine. Au fur et à mesure de l’expansion de leur activité, elles vont rapidement être amenées à régulièrement déménager dans des locaux toujours plus vastes, prêtés également par la ville. Le patrimoine architectural des Caisses d’Epargne conserve encore la trace de ces aménagements proposés au sein d’un parc immobilier communal parfois remarquable ; et certains établissements de taille modeste, avant le regroupement des Caisses d’Epargne débuté dans les années 1980, y étaient encore établis.
Après plusieurs déménagements successifs, la plupart des Caisses d’Epargne décideront, peu à peu, d’acquérir les propres locaux. La Caisse d’Epargne de Paris achète ainsi en 1842 un bâtiment construit au XVIIIe siècle, l’hôtel Thoynard, dont elle est encore propriétaire aujourd’hui. Plus tardivement, d’autres Caisses d’Epargne font également l’acquisition de bâtisses anciennes pour installer leurs services. Celle de Bourges établit ainsi ses locaux ans une maison construite entre 1513 et 1515 dite maison Pelvoysin. Ce bâtiment abrite encore de nos jours une agence.
Ces exemples sont toutefois minoritaires. Car, dans leur grande majorité, c’est plutôt la voie de la construction de leur propre édifice que les Caisses d’Epargne vont massivement emprunter. Elles vont ainsi, entre le fin XIXe siècle et le début du XXe siècle, faire réaliser partout des bâtiments qui contribuent à enraciner leur image au cœur des habitants et des territoires, de manière durable, et encore aujourd’hui.
Car si l’édification de leurs hôtels témoigne de l’importance et du succès des Caisses d’Epargne, il rend surtout compte de leur souci d’exalter, par le bâti, les valeurs de l’épargne dont elles sont dépositaires. C’est ainsi que se forge alors un style architectural spécifique aux Caisses d’Epargne.
Les constructions se font dans le contexte de l’hausmannisation des villes. Les hôtels empruntent à la typologie des édifices publics – mairie notamment – ou bancaires, édifiés à la même époque pour véhiculer une image de sécurité et des respectabilités. Le choix de leur emplacement contribue à en faire de véritables « monuments urbains ». L’isolement du bâtiment sur une place, ou au défaut dans un angle de rue, contribuent à leur visibilité par les habitants. De nombreux hôtels de Caisses d’Epargne se parent par ailleurs de dômes, de rotondes, de campaniles qui accentuent encore leur importance.
Ces bâtiments sont construits dans le style dit « éclectique », courant architectural de l‘époque qui consiste à mêler des éléments empruntés à différents styles de l’histoire de l’art (néo-Renaissance, néo-classique, voire néo –mauresque). Le néo-Louis XVI est ainsi largement utilisé, avec des ornements de façades s’appuyant sur des colonnades. Certains hôtels s’inscrivent dans la veine néo-gothique, d’autres, plus rares, sont d’influence Art nouveau.
Ce qui distingue les hôtels de Caisses d’Epargne des autres bâtiments publics de l’époque sont les attributs et sculptures qui ornent leurs frontons et façades. Les motifs exposés servent à la glorification de l’épargne populaire, célèbrent la tempérance et la prévoyance. On y trouve ainsi nombre d’allégories de l’Epargne à la façon des antiques ou des cornes d’abondance. Les ornementations des façades sont parfois l’œuvre d’artistes renommés, lauréats du Grand prix de Rome, comme par exemple à Marseille. Sculptures allégoriques, peintures, mosaïques au sol, vitraux décorent également les intérieurs des bâtiments, et célèbrent les vertus de l’économie, du travail et de la tempérance. Ainsi, à l’exemple des pouvoirs publics qui ornent de décors peints les salles de préfectures, bibliothèques ou mairie, les Caisses d’Epargne font parfois réaliser des fresques pour agrémenter leur salle de Conseil d’administration, comme au Puy où une large composition d’Assezat de Bouteyre présente « La famille remettant à l’épargne le fruit de son travail », à Troyes ou à Marseille.
Certains des anciens hôtels, peu adaptés aux activités du quotidien de la banque d’aujourd’hui, ont été cédés par les Caisses d’Epargne et ont trouvé de nouvelles destinations. D’autres, comme à Toulouse ou Marseille, ont bénéficié d’une réhabilitation exemplaire. Derrière les façades, restaurées à l’identique, des intérieurs modernisés, répondant aux dernières normes environnementales et technologiques, ont été mis en place. D’autres enfin abritent encore des agences.
Qu’ils appartiennent encore, ou non, aux Caisses d’Epargne, ces bâtiments historiques conservent, pour beaucoup d’entre eux, la signature de leur propriétaire d’origine. Les frontons portent aussi les inscriptions « Caisse d’Epargne » gravées dans la pierre. La ruche et l’abeille ou plus tard l’écureuil (emblème des Caisses d’Epargne) sont également fréquemment présents sur les frontons de ces hôtels.
Aujourd’hui, les nouveaux sièges de Caisses d’Epargne témoignent de leur modernisation, de leur puissance de grande banque régionale, de leur rayonnement sur les territoires. L’environnement, l’homme et la qualité de vie sont au cœur des nouveaux projets, qui pour beaucoup ont quitté les centres villes pour de nouveaux pôles d’attractivité qui concentrent les grandes figures de l’activité économique régionale.
Hier, comme aujourd’hui, les Caisses d’Epargne ont privilégié une implantation qui les placent au cœur de l’activité des villes et témoignent de leur rôle d’acteurs de premier plan sur les territoires.